Je suis un être cruel. Ou : langoustes en "ghee" (beurre) d'ail.
*****Attention : ce billet contient des scènes cruelles.*****
Se rendre au marché aux poissons des
Sassoon Docks implique nécessairement de revenir avec un cabas plein (à
moins d'être une chochotte, ce que n'est pas la moufette) tant les
poissons sont frais et les bestioles vivantes. J'ai donc ramené pour
Tac quelques langoustes, au prix indéniablement ridicule de Rs 250 les
quatre (4€), chacune pesant environ 400g.
Un doute m'a évidemment saisie quand je les fourrais encore
gigotantes dans le frigo : serais-je capable d'aller jusqu'au bout de
ma mission ? Car l'Inde réserve certes des surprises, mais t'oblige
surtout à revenir à certaines traditions et pratiques souvent oubliées
dans nos contrées, et notamment dans les grandes villes. Ainsi, tu
dégraisses toi-même ta viande d'agneau, tu tranches dans le vif des
morceaux de 2kg de buffle, pour faire tes bavettes, tes pavés et tes
steaks, car les aliments sont en grande majorité non transformés. Et il
faut que je te parle du lavage des légumes : toute une épopée.
Revenons aux langoustes gigotantes. Pour une première, j'ai
décidé de ne pas me lancer dans une recette et un dressage compliqué
("hop là, à travers le cerceau de feu, la langouste, et un triple salto
arrière double boucle piqué, yipiiii !") et m'empresse de consulter les
recettes internautiques. Qui m'expliquent qu'il faut ébouillanter la
langouste vivante (je m'en doutais) sans s'ébouillanter soi-même (pas
bête) et ensuite la faire cuire entre 10 et 15 minutes à petits
bouillons. Pas trop compliqué, il s'agit juste d'avoir un peu de
courage : qui de mon amour des animaux et de mon amour de la fine gastronomie va remporter la victoire ?
Observation des bestioles (pas trop longtemps ; Tac s'est
presque amouraché d'elles et j'ai du lui interdire d'aller les relâcher
dans la nature...). Préparation des instruments. Prise-à-deux-mains du
courage et du presse-purée (quoi ?) et c'est parti ! Le presse-purée
est en fait un instrument fort pratique pour déposer la langouste dans
l'eau bouillante sans risquer sa propre peau. Oui, moi, devant le
danger je pousse les langoustes devant et je me planque derrière...
Comme d'habitude, la première fois est la plus délicate
émotionnellement et moralement ; franchement, je m'attendais même à
entendre un petit "squiiiiiiiik" de détresse. Je ne vous cache pas que
malgré mon grand estomac, j'ai un grand coeur : cela fait un peu
quelque chose...
Bien. Après toutes ces émotions,
pendant que les bestioles sont en train de cuire dans leur casserole
d'eau salée, j'opte pour un accompagnement simple, des pommes de terre
à la vapeur et un beurre d'ail : occasion pour moi de tester enfin le ghee. Le beurre clarifié, vendu ici liquide en énooooormes paquets plastiques ou en boîtes métalliques. Le ghee
a ceci de pratique qu'il s'agit de beurre débarrassé de toutes les
éléments qui peuvent le rendre rance et le font noircir à la cuisson ;
il reste liquide et se conserve hors du frigo pendant deux ou trois
mois. L'énorme avantage, outre l'absence de rancitude (en tout cas, le
mot n'est pas "rancoeur", c'est sûr...), c'est qu'il est liquide : je
ne te raconte même pas comme c'est dix fois plus pratique pour
cuisiner, faire des gâteaux ou de la pâtisserie...
Voici donc mon ghee où
grésillent quelques lamelles d'ail fraîchement coupées, versé ensuite
sur les langoustes cuites et les pommes vapeur. J'ai évidemment oublié
de prendre des photos, toute au délice qui attendait mes papilles
gustatives. Je vous le dis en toute honnêteté quoiqu'en toute modestie
également : ce fut un régal.
Note : pour ménager mes
émotions, je dois faire en sorte de me restreindre à deux martyres de
langoustes par semaine seulement. Pas plus.