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La vie vue d'un rickshaw (vivre à Bombay)
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30 décembre 2008

Vikram Seth, "Un garçon convenable" : l'Inde des transitions.

[Pour plus de clarté dans l'organisation, je réédite des articles sur l'Inde déjà parus sur mon autre blog. Pas d'inquiétude donc, si vous avez un sentiment de déjà-lu.]

Un_gar_on_convenable            Transition. Voici le fin mot d'Un garçon convenable de Vikram Seth.

            Mais commençons par le commencement : deux pavés de 900 pages chacun, pour l'édition en livre de poche. Et l'inquiétude gagne le lecteur harassé par tant de romans, journaux et blogs lus, à lire (et à écrire ?) : sera-t-on capable d'aller jusqu'au bout sans s'endormir, mourir d'ennui ou bailler à retrouver des molaires que l'on croyait avoir égarées ? Et bien, la réponse est simple et peut se résumer en un seul mot.
            Mais comme je suis folâtre, je vous la donne en quelques lignes. Tout est dans le "quelques", d'ailleurs, vous me connaissez.

        La question de l'union constitue le commencement et l'aboutissement de cette fresque familiale, et son sujet véritable. L'union matrimoniale, tout d'abord, parce que dans la lignée d'autres romans indiens contemporains, le lecteur se trouve embarqué dans une saga familiale intimiste où la quête principale est le mariage convenable. Ainsi, déroulement chronologique et alternance classique des récits familiaux, auxquels s'ajoute une basse continue qui roule une thématique politico-religieuse.

          Transition tout d'abord, parce que l'on suit une étudiante, Lata Mehra, dans son lent et difficile passage au monde adulte. Transition féminine, de la jeune fille qui devient femme et découvre les difficultés de lire dans son coeur et dans celui des autres, de la fille revêche à la fille compréhensive quand il s'agit pour elle d'entendre sa mère qui veut lui imposer un "garçon convenable" pour son mariage, de l'étudiante à l'épouse enfin. Nuance encore dans les amitiés et les amours : la caste n'importe plus théoriquement, mais elle reste le référent intellectuel de tous, et progressivement la religion apparaît comme un critère. Lata se débat alors entre son amour pour un jeune musulman et des réticences qui ne seront jamais révélées par l'auteur parce que son personnage ne se les avoue jamais. On regrettera toutefois que la jeune fille retombe dans les conventions sociales, mais difficile de faire autrement. Alors, comme aujourd'hui. Se conformer malgré tous ses idéaux au attentes de la famille et des autres...

            L'autre union est celle de l'Inde, dont la transition est tout aussi difficile et passionnelle. Cette Inde de l'année scolaire 1951-1952, juste émergée d'une indépendance encore mal assurée dans les esprits et ressentie d'autant plus vivement que la Partition vient de consacrer avec force sang et terreur la naissance du Pakistan. L'union affirmée reste à faire naître dans les esprits alors que les dissensions politiques émergent entre le Parti du Congrès, les socialistes, les communistes et les différents partis communautaristes hindous ou musulmans, et que les crispations religieuses paraissent au grand jour. Certaines réflexions et situations de ces années ne sont d'ailleurs pas sans rappeler des questionnements plus contemporains : parce que certains, puissants et influents, suivis par la foule frivole et frileuse, veulent que tout conflit, de quelque nature qu'il soit, devienne religieux. Et en Inde, les émeutes anti-musulmans, anti-hindous, anti-sikhs, que sais-je encore, se sont succédé de manière sporadique jusqu'à il y a peu...

            Il aurait été facile pour Vikram Seth de donner de la population indienne une image manichéenne. Mais dans Un garçon convenable, rien n'est tout noir ou tout blanc : ni la couleur de la peau, ni les choix de vie, ni les esprits. Tout comme ces familles, qui témoignent bien de cette époque de transition où l'on n'est plus soumis aux Britanniques mais on n'est pas encore vraiment Indiens : des hommes politiques qui ne parlent ni ne lisent l'hindi, l'élite pailletée de Calcutta anglophone et anglophile qui pousse ses jeunes dans les internats à la britannique... Ce qui compte, c'est d'avoir passé quelque temps en Angleterre, ou de faire semblant, de ne pas laisser contaminer sa parole par un accent local, de ne pas trop frayer avec des familles trop... indiennes. Parmi tous les portraits dressés dans ce roman, au milieu de nombreux personnages attachants, quelques-uns sont méprisables et d'autres détestables... mais ils sont rapidement écartés. L'optimisme est chevillé à la plume de Vikram Seth.

          Vikram Seth, qui est un auteur discret, n'intervenant que peu et ne laissant aucun fil rouge pour expliciter son oeuvre. Mais le lecteur comprend bien, au final, qu'en choisissant des familles différant les unes des autres par leur origine, leur richesse ou leur religion, il dresse un portrait vivant et crédible de Brahmpur, la ville de Brahma créée de toutes pièces par l'auteur sur les bords du Gange mythique, comme microcosme de l'Inde. On s'insinue alors lentement dans cette nation en pleine gestation, dans ses cercles familiaux et amicaux, ses partis et ses clans, ses amours et ses méfiances. Autant d'étapes de ces transitions nécessaires qui permettent le "vivre ensemble".

            Chatoiement de la culture indienne décrite au travers du rire perlé de Meenakshi Chatterji ou des bouts rimés de ses frères et de sa délicieuse soeur Kakoli. Larmes tonitruantes du Dr K. C. Seth devant les premiers succès de Bollywood. Multiplicité des fêtes hindouistes, dévotion collective au linga tout-puissant... En complément et non en contrepoint s'expose la richesse de la culture musulmane indienne : les ghazals imprègnent de leur mélancolie la passion de Maan Kapoor, le purda (claustration des femmes musulmanes) et le burqa masquent une société méconnue dont on ne devine les trésors que dans les traits de la begum-prostituée Saeeda Bai. Un hymne à l'ourdou aussi, qu'il faut préserver certes mais pas seulement : il ne doit pas tomber en désuétude comme les livres du Nawab tombent en poussière. C'est en peignant cette double culture d'un même geste que Vikram Seth pose la question fondamentale de son récit : où est la nation ?

            Une fresque enivrante donc, par laquelle il fait bon se laisser bercer comme certains se laissent dériver sur le Gange pour admirer les reflets de la lune sur le Barsaat Mahal rêvé par Vikram Seth...

Note : article publié le 20/03/08.

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Commentaires
C
@ Angelita : bonne année à toi aussi ! Plein de bonnes choses et de bons moments surtout !
A
Tous mes voeux pour cette nouvelle année 2009 à tous les 2<br /> Bises
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