Les Indiens qui m'ont le plus touchée.
[Ce billet est écrit sur un sujet commun avec les Blogueurs francophones de Bombay : allez les lire et les commenter ICI !]
On va m'accuser d'avoir un coeur
de pierre, et on n'aurait parfois pas tort... Même après ces quelques mois à Bombay, ces voyages, les Indiens qui m'ont touchée,
c'est-à-dire émue, sont vraiment très rares (aurais-je laissé mon coeur en Birmanie ?). Non que je ne me
scandalise à chaque situation d'exploitation, du haut au bas de
l'échelle sociale indienne et occidentale qui prévaut ici, mais j'essaie de regarder cela froidement, en me disant toujours que le
sentiment de compassion est largement provoqué 1) par ma méconnaissance du contexte, 2) sciemment par les acteurs de la situation qu'ils monnaient ensuite, 3) par une organisation sociale beaucoup plus large qui ne peut être réduite à un simple fait, tout choquant qu'il soit, et dont il faut comprendre les ressorts.
Je suis scandalisée chaque jour ici, mais pas émue. Car si je m'émeus, j'agis (alors oui, j'aurais bien pris sous mon bras ce gamin de Khajuraho trop lucide sur lui-même, sur ses concitoyens et sur son pays, pour le délivrer de... de quoi, d'ailleurs ?). Mais. Passons. Un seul Indien m'a vraiment touchée.
Lui. Car il est des dizaines d'Indiens, et par-delà les années, des dizaines de milliers d'Indiens.
Monument aux morts de la Première Guerre mondiale, Pondichéry.
On va me taxer de néo-colonialisme, il n'en est rien. La contribution, forcée souvent, volontaire rarement, à une guerre qui était la leur de droit et ne l'était pas de fait. A la guerre la plus effroyable que l'on ait connu, où la violence était concrète et métaphorique à la fois, théorisée et spontanée, volontairement entretenue, mise en scène, racontée, fantasmée. Ces combattants des Indes françaises dont les noms indiquent la double origine culturelle sont venus affronter l'ennemi sur un sol qui était le leur de droit mais qu'ils n'avaient jamais vu de fait. Un territoire où j'ai vécu, défendu par des Indiens venant d'un territoire où je vis désormais. Cela crée réellement un lien entre ces Indiens et moi, une émotion réelle.
Des exilés nécessaires.
Au même titre que ces dizaines de
milliers d'exilés, qui travaillent dans le Golfe ou aident l'armée américaine en Irak, qui ont laissé derrière eux famille, amis et nation pour envoyer de l'argent, pour obtenir une carte de couleur d'espoir. Que l'on renvoie en masse sans ménagement dans leurs campagnes lorsque l'on n'a plus besoin d'eux.
Ce sont lui et eux, les Indiens
qui me touchent le plus, tant l'ironie est grande et sévère : obligés de quitter un système d'exploitation quasi parfait pour aller servir d'autres qu'eux-mêmes, reproduisant par là indéfiniment le cycle de ce qui me semble être l'Inde.
Travailleurs indiens à Oman.