Un immeuble à Bombay : la fourmilière. (Part Two)

                Des sphères supérieures de mon immeuble nous sommes progressivement descendus au perron. Là où tout se passe, où de mon rez-de-chaussée j'ai un point de vue , et un point d'ouïe d'ailleurs, admirable sur la vie d'un immeuble indien.

                 Car tout le petit monde des hauteurs emploie du personnel. Pléthorique aussi. A potron-minet, on les voit passer, affairés : quelques hommes, chauffeurs en mal de lettre de mission pour la journée, cooks peut-être (ceux qui ne redescendent pas ?), et plus souvent des femmes. Maids et nannies qui, à mes oreilles, sont l’exacte réplique des parents de l’immeuble : incapables d’occuper efficacement de gamins et de faire taire leur babil tonitruant.

                Mais eux ne comptent pour rien par rapport à ceux qui sont légion : l’univers commercial qui gravite autour d’un immeuble. Livreurs en tous genre, de légumes et de fruits, de journaux, livreurs de diverses boutiques (otout peut être livré ici) et facteurs multiples (pour chaque reçu, commande, et pli spécial un commis se déplace). Et s'y ajoutent les réparateurs et artisans, encore plus nombreux. C'est un va-et-vient permanent. Sans compter que le building manager, sorte de syndic local, loge à demeure une équipe chargées des réparations urgentes éventuelles (qui ne sont pas rares, tu t'en doutes). Deux électriciens, un plombier et un jardinier veillent donc sur le quotidien de l'immeuble tandis que deux ou trois laveurs de voiture viennent chaque matin astiquer les véhicules imposants garés autour de l'immeuble.

                Enfin, dernière mais non des moindres, la maid de l’immeuble : une domestique à demeure, de nouveau, chargée de nettoyer les parties communes, de rassembler les poubelles qu’elle récolte tous les matins avant 10h (et tu as intérêt à faire attention à l’horaire sinon tu te fais gronder) et de collecter mes journaux, dont le recyclage lui permet de récupérer quelque argent. Elle accomplit également des tâches ménagères d'appiont chez les habitants : il a d’ailleurs été très difficile de lui faire comprendre que non, je n’avais pas de domestique, que je n’en avais pas besoin et que ce n’était pas parce que j’avais quelque chose contre elle (quoique : avant notre emménagement, c’est elle qui a nettoyé l’appartement où nous habitons ; j’ai passé plus de quinze jours à gratter, laver, javelliser et nettoyer pour arriver à retrouver un semblant de propreté, alors euhhhh…). Elle passe la serpillère et le balai à la manière indienne : consciencieusement penchée sur son balai de brindilles, faisant voler la poussière qui se posera encore mieux quelques mètres plus loin, accroupie et essuyant nochalamment le sol avec un tissu à la couleur indéfinissable, sauf si la couleur « crasse » existe. Personne n’a évidemment pensé qu’un aspirateur et un balais brosse seraient nettement plus efficaces. Non : elle pourrait gagner du temps…

                  Où dorment-elles, ces fourmis de l’immeuble indien ? Sur le perron, pour ce qui est des gardiens de nuit. Dans ces couloirs aménagés aux sous-sols des immeubles, passages improbables entre deux tours, deux murs, deux garages, protégés par de simples grilles rouillées. Ou dans de miniscules pièces aveugles, aménagées dans les "trous" de l'immeuble. Ce microcosme qui fait vivre le macrocosme dort à nos pieds. Du rez-de-chaussée, nous entendons la relève du quart des gardiens de nuit à 4h du matin, le grabat lourdement replacé, la grille rouverte, puis les premiers domestiques et livreurs s'interpeler dès 5h.

                    Mon immeuble à Bombay est un petit monde bien huilé.